We Are « EVOL »

Dois-je encore vous présenter Atsushi Kaneko ?
Si vous êtes coutumiers du HUNGRY BUG, vous savez combien nous sommes fans du monsieur.
Et si c’est votre première fois en ces lieux, je ne vais guère m’étaler sur la question et vous laisser le soin de parcourir les articles que nous avons déjà consacré au plus Punk et Rock’n Roll des Mangakas. Ces derniers témoigneront d’eux-même de l’amour que nous lui portons :
Ici, une interview musicale de l’auteur et là, nos plats consacrés à Bambi, Deathco et Search and Destroy.)

Il est donc normal qu’en tant que fans religieusement accros à ses productions, nous finissions par aborder son tout dernier titre paru le mois dernier chez nous : EVOL.
2 tomes sont parus aux éditions Delcourt Tonkam. Le tome 3 sortira à priori, au mois d’août.

Sur ce, lancez un album de Discharge et entrons dans le vif du sujet.

SMELLS LIKE TEEN SPIRIT

« Nozomi, Sakura et Akari, trois adolescents âgés de 16 ans, décident de mette fin à leur jours. Pour une raison que tous ignorent, ils survivent à leur suicide et se réveillent dans un hôpital, dôtés de mystérieux pouvoirs. Des pouvoirs qui normalement ne s’héritent que par le sang, dans ce monde où les Supers font parti du quotidien.« 

Derrière ce court synopsis, se cache ce qui selon moi est l’ouvrage le plus personnel de l’auteur.
Après sa réinterprétation du Dororo d’Osamu Tezuka avec Search and Destroy, Atsushi Kaneko nous revient avec un titre où il y parle de figures héroïques affublées de super-pouvoirs, où il dessine le portrait corrosif d’une société corrompue, où il mentionne ces parents pas toujours bienveillants et surtout, où il donne une part belle à l’Adolesence.
L’adolescence et cette rage qui en découle.

Rage, colère, révolte, rébellion, autodestruction…

Pour les fins connaisseurs de la bibliographie d’Atsushi Kaneko, vous savez à quel point cette agressivité effervescente est récurrente chez bon nombre de ses personnages… et pas que. Malgré son âge (il approche de la soixantaine) Atsushi Kaneko est resté à l’image de ces groupes de punk qui ont bercé son adolescence tels que les Sex Pistols où encore, The Stalin. Des groupes révoltés, destructeurs et auto-destructeurs ayant eu par ailleurs un réel impact sur son propre travail. Comme il a pu le dire très récemment lors d’une interview pour les Inrocks « Deux secondes par mois, je souhaite que le monde explose. » Des mots qui en disent long sur ce sentiment profondément encré en lui.
Un désir d’anéantissement qui n’a jamais été aussi présent et palpable qu’au coeur d’EVOL. Car comme le furent Bambi, Deathko et Hyaku à leur époque, Nozomi, Akari et Sakura, les personnages principaux qui trônent sur la couverture du premier tome, sont eux aussi très en colère. (Et ils auraient tort de le pas l’être.)

RAGE ADOLESCENTE

Par le biais d’un récit aux relents d’un The Boys de Garth Ennis, les deux premiers tomes d’Evol (sortis simultanément au Japon comme en France selon la volonté de l’auteur) dépeignent avec une justesse que j’ai rarement croisé dans un ouvrage de ce genre, les frasques et les vicissitudes de la vie adolescente. Au fil des pages, je me suis surpris à repenser au moi d’il y a une vingtaine d’années, contraint et forcé d’entrer dans des cases qui ne me définissaient pas. Habité par une colère monstrueuse, à l’encontre des parents où des professeurs qui ne me comprenaient pas et haineux contre une société qui me paraissait trop formatée et de surcroît, gouvernée par des bureaucrates égocentriques. N’ayant pas eu la chance d’hériter de super-pouvoirs, je me réfugiais alors dans la musique, dans le skate, dans les mangas et les bandes-dessinées pour échapper à ce cauchemar. (Oui, à 16 ans, tout prend des proportions ahurissantes, n’est-ce pas ?)



Nozomi, Akari et Sakura sont donc les fruits d’un gouvernement qui, en dépit des années, reste figé, noyé sous les paradoxes et rarement à l’écoute de sa jeunesse en perdition. Le Japon est un pays paisible (faible taux de criminalité, peu d’insécurité) mais le revers de la médaille est cette pression qui pèse sur les épaules des adolescents. Elle est telle qu’ils sont nombreux à songer au suicide… Sans oublier l’impact des réseaux sociaux ainsi que la scène politique internationale terriblement anxiogène. Tout particulièrement pour eux, alors en pleine construction physique et psychologique.
En rédigeant ces lignes, j’en viens même à me demander si Evol ne serai pas le manga le plus politisé et le plus engagé de l’auteur ? De part la justesse de son propos mais aussi et surtout par la manière dont il apparait en totale adéquation avec son temps.



Atsushi Kaneko en profite aussi pour esquisser le portrait d’une justice viciée. Ces héros qui peuplent le monde et qui se croient au-dessus des lois sont-ils réellement salvateurs et bienfaiteurs pour les simples mortels ? Les humains ne seraient-t-ils pas plus en sécurité sans l’existence de ces « divinités » ?
C’est clairement sur cet aspect ainsi qu’au travers d’un personnage comme Thunder Bolt que les similitudes avec The Boys sont on ne peut plus évidentes.

Par ailleurs, souvent comparé à Charles Burns, le parallèle n’a jamais été aussi évident lorsque l’on rapproche EVOL d’un titre comme Blackhole et son traitement de l’adolescence. Si le propos diffère, on retrouve ces personnages marginaux à leur manière, essayant tant bien que mal de se faire une place dans un monde qui ne leur offre aucune place.

WE ARE EVOL

Je resterai évasif sur ce qui va lier nos trois héros ainsi que les différents pouvoirs qu’ils vont développer tour à tour. Néanmoins, je tiens à mettre le doigt sur l’incroyable justesse avec laquelle Atsushi Kaneko dépeint leurs caractères, leurs origin story (pour user d’un langage propre à l’univers des Supers) ainsi que la relation qui va progressivement naître entre chacun d’entre eux. Le tout respire la plus grande des sincérité et pour une fois, nous avons à faire à des adolescents qui se comportent comme le feraient n’importe quels ados de 16 piges, livrés à eux même. Je pense notamment à une certaine scène qui se déroule dans un skate-park. L’un des passages les plus bouleversants du tome 2 et dont le parti pris graphique très Low-Brow est un régal pour les mirettes.

Tiens, parlons-en du dessin !

Le tout est servi par un coup de crayon aux petits oignions. C’est bien moins surchargé que dans Search and Destroy et ma foi, ce n’est pas plus mal. Le côté épuré de son dessin lui permet d’être plus frontal dans la représentation du maelstroms de sentiments qui secouent les protagonistes. Il appuie encore plus sur les contraste entre les noirs et les blancs, nous offrant des planches qui vous feront l’effet d’un accord dissonant, craché par un ampli poussé à plein volume, tous les potards d’une pédale d’overdrive à tribord toutes. C’est explosif, dynamique et ça facilite la lecture lors des scènes d’actions.

Mais il sait aussi, par moments, délaisser la saturation pour des sonorités plus claires, comme sur la planche ci-dessous, où l’on y voit le trio rire de bon coeur. Assister à de tels moments de légèreté, c’est assez inhabituel chez Atsushi Kaneko.



C’est selon moi une preuve de maîtrise totale de son art car il nous montre qu’il est capable de dire beaucoup avec quelques coups de crayons à peine. C’est aussi le témoignage d’un artiste en perpétuelle progression, ne reposant jamais sur ses acquis.

MEANWHILE

Vu les proportions qu’une telle édition a suscité sur les résaux, je ne puis faire comme si de rien n’était. Parlons-en de cette fabrication proposée par Delcourt/Tonkam.
Atsushi Kaneko étant un auteur « hors-normes », la maison d’édition à pris le parti d’adapter le manga à l »image de ce dernier, dans un grand format avec couverture en carton rigide… Un objet complètement hors-standards pour ce type d’ouvrage. Prévu à 15 euros au départ, la hausse du prix des matières premières, des transports etc… ont fait que le titre à vite fait de prendre 5 euros de plus passant ainsi à 20 euros.

Pour ma part, je trouve ça dommage car ça n’aidera pas le titre à se faire connaître du grand public alors qu’il s’agit clairement de son oeuvre la plus accessible. Cependant, de là à hurler au scandale, je suis bien plus mesuré. Quoi qu’on en dise, l’édition est des plus réussies et même si elle présente des coquilles de-ci de-là, je trouve que certains dramaturges des réseaux sociaux ont tendance à avoir leurs cibles de prédilections.
Alors oui, le rapport qualité-prix en terme d’édition est quelque peu bancal et ils se devaient d’être irréprochables avec un tel tarif. Je le conçois.
D’autres éditeurs s’en sortent mieux ? Je le conçois aussi.
Néanmoins, de mon point de vue, je constate cependant que beaucoup de lecteurs de comics, plus habitués à cette gamme de prix, n’hésitent pas à sauter le pas avec ce titre, à la croisée des chemins.

Bref, je ferme la parenthèse édition. Pour ceux qui ont un budget assez confortable pour se permettre cet achat, foncez… Atsushi Kaneko n’a jamais été aussi en forme et fascinant qu’avec ce titre.
Pour les autres, toquez dans vos médiathèques, ruez-vous sur l’édition numérique…. Il existe bien d’autres méthodes pour que vous n’ayez pas à vous priver de ce titre si incroyable et qui selon moi compte déjà parmi les plus belles sorties de cette année.





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